A chaque vacances de la Toussaint, nous étions tous mis à contribution. Mes frères, ma soeur mais aussi mes cousines venues de Montpellier en renfort. Une farandole de petites mains agiles et prestes, dont Maman supervisait l’agitation et guettait l’inactivité. Notre grand-mère nous garantissait le beau temps, Saint Martin oblige, et la « Mémé » d’Argelès sur Mer, bien qu’au ciel, nous rebattait les oreilles de conseils avisés « choisissez les bien fondantes, mais ne prenez pas que les mûres, il faut un peu de tout… cueillez les bien rouges… » Ah ! Les arbouses…
C’était l’expédition programmée depuis l’année passée déjà. Nous faisions un repérage avant les vacances pour nous assurer qu’elles seraient bien mûres le jour venu. Nous choisissions une belle journée de soleil et nous prenions possession de notre terrain de chasse, le même depuis si longtemps, sur les hauteurs de Valmy. Les toits du château faisait vagabonder nos esprits de petites filles vers d’autres destins… Nous rêvions du châtelain qui, naturellement, avait notre âge, mais que nous n’avons jamais croisé au détour d’un sentier ou dormant sur l’herbe verte dans un rayon de soleil… tant pis pour le châtelain si les arbouses étaient belles !
Le soir venu, rentrés à la maison, nous nous faisions marmitons, traînant nos mains gourmandes par-ci, par-là, goûtant à cette écume rose sur laquelle seule nous avions des droits. Car chaque année, les arbouses une fois si bien cueillies, Maman repartait en quête de sa madeleine … Cette gelée d’arbouses que faisait, en son temps, la Mémé d’alors. L’ancestrale recette n’ayant pas été confiée à temps, elle explorait dans sa cuisine les différents temps de cuisson ou les quantités de sucre. Nous aurions parié sur le résultat si nous n’avions été si sages… Je revois ses mains sur l’étamine, pressant la mélasse pour en extraire le précieux jus qui prendrait son temps pour s’écouler, toute la nuit durant. Le lendemain, Maman mettait ce jus et le sucre à cuire et une fois refroidie la belle gelée était soumise au palais exigeant de l’enfance passée. Mes cousines repartaient en train, emportant dans leurs valises quelqu’uns de ces pots de grenat qui allaient chercher l’approbation de ceux, les privilégiés, qui avaient connu la Mémé. Nous autres, les impies en la matière, trouvions cette gelée délicieuse, mais la madeleine se faisait désirer…
La meilleure de toutes ces gelées d’arbouses, je l’ai goûtée l’année dernière, quand sur les Terres du Rouxbio, près de Céret, la Mémé d’aujourd’hui a découvert des arbousiers… Cette année encore nous étions au rendez vous pour la cueillette, la cinquième génération en tête !
Une belle robe de grenat que la lumière dote de reflets roux, une tenue parfaite qui fond en bouche et un goût prononcé d’arbouse, juste sucré comme il faut… Ce n’est peut être pas la madeleine de Maman… mais ce sera la mienne !
Les arbouses de Vivès, dans les Pyrénées Orientales
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